Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

ESSAI SUR L'OCCUPATION DU SOL AU MOYEN AGE

AUTOUR DE DURFORT (TARN)

D’après l’article de Nelly Pousthomis-Dalle 

  Eléments d'archéologie tarnaise- Actes du colloque en hommage à Jean-François Salinier (Puylaurens, 2000) - Castres, 2002, (Archéologie Tarnaise, 11), p. 121-128.

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Le Sorèzois et le Revélois constituent une zone de contact géographique autant que politique et religieuse. Ce pays, où se situe Durfort, offre un bon échantillonnage des types d'habitat aggloméré au cours du Moyen Age. La documentation écrite et archéologique permet d'établir des liens entre les sites d'habitats médiévaux coexistant ou successifs et d'évaluer l'importance des mouvements de population, le poids des enjeux et le rôle des pouvoirs en matière de peuplement et de mise en valeur de ce terroir. L'ensemble de ces déplacements de population semble s'inscrire dans un mouvement plus large de descente des sites d'habitat aggloméré qui affecte ce versant de la Montagne Noire.

 

Mots-Clés : Moyen Age, habitat, castrum, bourg, bastide, finage, terroir.

 

Historiens et archéologues travaillent le plus souvent de manière régressive et auréolaire. Ainsi, la fouille programmée menée pendant une douzaine d'années sur le village déserté du Castlar de Durfort a-t-elle conduit à une enquête historique et toponymique sur la commune de Durfort et les communes limitrophes, Les Cammazes, Soréze, Revel et Vaudreuille.
La démarche, menée sur le long terme, embrasse les périodes qui encadrent le Moyen Âge, des indices d'une présence préhistorique jusqu'à l'orée du XIXe siècle. Le présent essai restera cependant centré sur la période médiévale. Partagés entre les départements du Tarn, de la Haute-Garonne et de l'Aude, le Sorèzois et le Revélois constituent une zone de contact biogéographique autant que politique et religieuse.
      Or cette microrégion, où se situe Durfort, offre un bon échantillonnage des types d'habitat aggloméré au cours du Moyen Age. La continuité de son occupation, attestée dès la préhistoire, n'est, en l'état actuel des connaissances, qu'une présomption que seule une investigation archéologique approfondie pourrait ou non vérifier. La documentation écrite et archéologique permet cependant d'établir des liens entre les sites d'habitat médiévaux coexistant ou successifs et d'évaluer l'importance des mouvements de population, le poids des enjeux et le rôle des pouvoirs en matière de peuplement et de mise en valeur de ce terroir.

 

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SITUATION GÉOGRAPHIQUE

 

La dépression périphérique de Revel, recouverte de sédiments tertiaires (argiles et molosses), résulte du contact entre l'appendice sud-ouest du Massif central que constitue la Montagne Noire et le Bassin Aquitain dont les collines molassiques s'arrêtent par un relief vigoureux de cuestas.

 

La bande schisto-calcaire métamorphique, adossée au massif cristallin primaire de la Montagne Noire, est découpée en petits plateaux ou "causses", dont la "montagne de Berniquaut", par de profondes entailles torrentielles orientées est-ouest, comme celles du Sor et de l'Orival.

 Entre le domaine aquitain, dont les influences océaniques sont atténuées, et le monde méditerranéen aux incidences climatiques diffuses sur le versant nord de la Montagne Noire mais plus nettes en adret, la Montagne Noire introduit, par ses fortes pentes et sa double exposition, un milieu de type semi-montagnard.

 

 Une bonne pluviométrie fait de ces hautes terres un véritable château d'eau dispersant de nombreux cours d'eau sur toute sa périphérie dont le Sor et ses affluents.
Les multiples écoulements torrentiels, l'infiltration partielle des eaux dans des réserves karstiques et leur résurgence dans le piémont et la plaine expliquent un chevelu de petits cours d'eau retenus en surface par les argiles. La dépression de Revel se trouve ainsi parcourue par un grand nombre de petits ruisseaux, responsables des marécages et des forêts qui l'ont caractérisée jusqu'au Moyen Age ainsi qu'en témoignent textes et toponymes.

 

Fig. 1.Situation ----------------------------------------------------------------------------------------------Fig.2. Carte d'occupation du sorézois et du Revélois

AUX ORIGINES DE L'OCCUPATION

 

L'essentiel des données archéologiques sur les périodes antérieures au Moyen Age sont issues de découvertes fortuites, parfois anciennes, et de prospections qui ne permettent généralement pas de définir la nature et l'extension des sites.
Si l'on observe fréquemment une présence gallo-romaine à proximité de sites médiévaux, on ne peut être assuré d'une continuité de l'occupation. A cet égard, le site de Verdun-Berniquaut fait exception, à la fois parce qu'il a bénéficié de sondages conduits par Jean Lautier et de la conservation de quelques textes autorisant des hypothèses un peu plus audacieuses. L'occupation de Verdun-Berniquaut, dont l'extension et la nature au Bronze final restent encore inconnues (Mercadier 1992, p. 28), s'affirme à l'âge du fer avec des grottes sépulcrales et un habitat permanent de hauteur en position stratégique, contrôlant les échanges nord-sud entre l'Albigeois et le bassin méditerranéen par le seuil de Naurouze et la vallée de l'Aude.
On suppose une même évolution sur les sites de Cordouls et de Saint­Chipoli, Berniquaut et Cordouls étant peut-être des zones de rupture de charge, leur fonction commerciale s'ajoutant à l'agriculture et au pastoralisme, (Mercadier 1992, p. 32-33).

D'autres sites de hauteur sont occupés pendant la Protohistoire Saint-Barthélémy (Saint­Amancet) et Saint-Ferréol (Campech 1989, p. 44).Les voies antiques empruntent les hauteurs, comme celle passant par Berniquaut ou le piémont, notamment entre Verdalle et Soréze par La Gare, Borie Neuve, En Rives(Saint-Amancet) (CAG 1995, p. 234; Campech 1989, p. 44; Baccabrère 1963).

A son tour, la dépression périphérique de Revel constitue un véritable couloir unissant la vallée de l'Aude (Castelnaudary) au pays castrais et à l'Albigeois. Quelques tronçons de voies antiques y ont été répertoriés : entre la métairie de Ric et le château de Beauregard, à proximité duquel fut découvert un trésor de 10 monnaies du Bas Empire, près du pont, et sur la D85 à la sortie de Revel vers Soréze.

 La prospection a révélé des gisements antiques (tegula, amphore, sigillée, céramique commune) près de Lamitatmens, au lieu-dit La Forêt près du Pech de Maffre, à En Thuriès, à En Berni et à Saint-Sernin de Vauré, ou encore près du cimetière de Vaudreuille, à proximité de sites médiévaux et dessinant une auréole autour de la future bastide de Revel.

Autour de Soréze, des découvertes ponctuelles sont signalées à la Garrigole, au hameau des Moureaux, près du Montagne, au Bosc (Belleserre), au Bois des Ensagnottes et sur le domaine de Carmilles dans la commune d'Arfons, et sur le site même de l'abbaye (CAG 1995, p. 75, 244-245) (fig.2).
Après une désaffection probable du site de Verdun ­ Berniquaut aux premiers siècles de notre ère, mais sans abandon total, il paraît réoccupé dans l'Antiquité tardive comme en témoignent des niveaux paléochrétiens et une petite nécropole entre le IVe et le Vlllè siècle (CAG, 1995, p. 244).

Une dizaine de tombes associées à un mobilier des Vlè-Vllè siècles ont été mises au jour, au XIXe siècle, sur le site même de Revel et une tombe à inhumation associée à une boucle "franque" a été découverte au hameau de Rivière (Soréze).


LE SORÉZOIS AU MOYEN AGE

 

Le castrum de Verdun est cité dans la charte, falsifiée mais reposant sur une tradition authentique, de la fondation de l'abbaye de Soréze vers 816 (juxta castrum quod dicitur Virdiminus). On peut émettre l'hypothèse qu'il s'agisse alors d'une forteresse publique carolingienne, comme ce fut probablement le cas pour d'autres sites de hauteur tel Malast au-dessus de l'abbaye de Montolieu (Aude).

 Les textes n'apportent ensuite qu'un bref éclairage au milieu du VIIè siècle. Le castrum, alors appelé Brunichellis (Berniquaut), est aux mains des vicomtes d'Albi, qui l'inféodent à Pierre Guilhem Escaffre de Roquefort et ses fils, et de l'abbé de Soréze.

Qualifié de castellum et castellare (1141, HGL, V, 1046), de bastimentum (1153, HGL,V,1133), le site se présente comme un habitat aggloméré et fortifié, dont la superficie a été évaluée à 1,80 ha et le nombre de bâtiments à une centaine, auquel s'ajoutait un faubourg hors les murs.

 En 1141, il est également question de droits sur les fours, d'emplacements de maisons et de droits ecclésiastiques. Des sondages ont révélé des constructions appareillées en pierres layées, des monnaies et de la céramique du milieu du Xllè siècle. Il semble progressivement abandonné dans la deuxième moitié de ce siècle (Blaquière 1978-79, p. 52-75), au profit des villages naissants de Soréze et de Durfort.

L'abbaye Sainte-Marie de Soréze, fondée au début du IXe siècle, bénéficie de la sauvegarde, immunité et libre élection de l'abbé, et de donations de biens dans l'Aude (Villemagne, Villepinte, v. 816), puis dans le Gers et l'Agenais (v.817).

 Mentionnée à deux reprises au Xe siècle, elle connaît une période d'expansion jusqu'au XIllè siècle, arrondissant progressivement son patrimoine. Elle donne naissance à une agglomération dont l'émergence semble attestée en 1057 par la mention d'une domus in eodem Soricinii villa (ADT, 2J1, f.4), et qui paraît assez développée en 1153 pour inquiéter les seigneurs de Roquefort qui en demandent, vainement, le déplacement (HGL, V, 1136).


Divers actes témoignent de son extension aux XIlle et XlVe siècles sont cités une borde et jardin ad villam novam (1280, ADT, 69J2, f.346-347), une dornus in superio ejusdem villae borda une borde et jardin hors la ville et au barri d'icelle (1322) (ADT, 69J2,f.386).  

 

Les compoix de 1595 et 1747 (AC Soréze) situent des maisons dans la "ville vieille" et le long d'une rue de Villeneuve. Sur les atlas cadastraux de 1747 et 1833 (fig. 3), la "ville vieille" est un quartier bien individualisé, délimité par la rue de Castres, la place de l'église et l'abbaye.
En forme de croissant, ses parcelles serrées s'organisent de part et d'autre d'une rue qui s'élargit un peu pour former une place, toutes deux dites "de la ville vieille". L'église >paroissiale, dédiée à Saint-Martin et mentionnée à partir de 1120, se situe en marge de ce quartier, au sud-ouest de l'abbaye. Elle était entourée d'un cimetière et voisine, au XVIe siècle, avec le four et la maison commune. Le reste de la ville suit un plan régulier où les moulons se répartissent autour de deux rues perpendiculaires dont l'intersection forme une place entourée de couverts et dotée d'une halle.
Cet ensemble, qui évoque les plans régulateurs des castelnaux et des bastides, pourrait correspondre à l'extension des Xlllè et début XIVe siècles. La rue de Villeneuve, comprise dans cette extension, sépare deux îlots situés dans la partie sud-ouest, non loin de l'hôpital Saint-Jacques.

 

Si le bourg de Soréze semble avoir participé à la désertion du site perché de Berniquaut, il est possible qu'une partie de la population de ce dernier ait également été attirée par la création, proche dans le temps et dans l'espace, du castrum de Durfort.

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(fig. 3), la "ville vieille----------------------------------------Fig. 4. Plan du Castlar de Durfort (Tarn).

Situé sur le versant sud de la "montagne de Berniquaut", sur la rive droite du Sor, Durfort n'est explicitement mentionné qu'au début du XIllè siècle. Jourdain de Roquefort en est alors seigneur, l'abbé de Soréze en étant co-seigneur, au moins à partir de 1252.
Sa fondation remonte probablement au milieu ou à la deuxième moitié du Xllè siècle et doit être mise en relation avec l'action alors menée par les Trencavel : " Au Xle siècle et dans la première moitié du Xllè, (ils) mènent une politique de reprise en mains des châteaux existants par la reprise en fief et des années 1140 jusqu'au tout début du XIllè," ils se lancent dans une politique d'édification de castra par vassaux interposés "(Debax 1996, p.160). Localement, on peut rattacher à cette entreprise l'autorisation que donne, en 1174, Roger Trencavel aux seigneurs de Saissac de fonder le castrum dit de MontRevel près de la future bastide de Revel et sur lequel nous reviendrons. C'est ce contexte qui incite Jean-Louis Biget à interpréter l'acte de 1141 (HGL, V, 1046) comme celui de la fondation de Durfort, bien que celui-ci ne soit pas explicitement nommé (Biget 1992, p.71).

L'archéologie n'a pas permis de trancher la question, dans la mesure où la sédimentation du site est quasiment inexistante et où seule la dernière occupation est généralement conservée. Les vestiges et le mobilier datables et en place ne remontent pas au-delà du XIllè siècle.

Le castrum se développe sur une arête rocheuse émergeant à mi-versant de la vallée (fig. 4). Barré par un fossé sec, le piton sommital porte le château, comprenant tour et basse-cour occupée par quelques bâtiments, le tout dans une enceinte propre. En contrebas et sur les pentes de l'éperon, un groupe d'habitations réparties le long d'une rue axiale est défendu par un premier rempart. Le village s'étend encore au-delà, en quartiers également protégés par des murailles. Outre l'activité agricole, révélée en particulier par des structures de stockage (silos et grenier), le mobilier archéologique montre le développement d'activités artisanales que confirment les textes.

 L'énergie hydraulique alimente des moulins qui jalonnent progressivement le cours du Sor :un moulin, sans doute bladier, est cité en 1255 ; un autre, bladier et drapier, apparaît en 1280 (ADT, 69J2, f.189 et345), alors que l'industrie drapière est florissante en Lauragais, au moins jusqu'au XVe siècle.

 

Durfort produit une étoffe assez grossière, vendue aux foires de Pézenas, Lunel et Montpellier, et à un marchand italien, Datini (1379 et 1388). Le travail du métal paraît plus tardif, issu probablement d'une reconversion de l'outil de travail, sans doute dans le courant du XVe siècle.

 Le castrum est occupé jusque dans la deuxième moitié du XIVe siècle où il est progressivement abandonné. Cependant, vers 1274, une famille de Durfort, les Brun, habite une maison en dehors du "vieux castrum" et possède une maison inhabitée qui sert de grange à foin dans le "vieux castrum" de Durfort.

Ce détail, connu par les registres d'Inquisition (BN, Doat, 26, f.18v-19), laisse entrevoir la possible coexistence de deux pôles d'habitat, l'un perché (le castrum ou Castlar) et l'autre sans doute déjà en fond de vallée.

En 1357, sont >cités les homines et habitatores castri sive villae de Dureforti, expression qui pourrait tenter de rendre compte de la dualité de l'habitat (ADT, 69J2, f.183-185). À cette époque, la communauté de Durfort, représentée par deux consuls, dépend de plusieurs co-seigneurs dont l'abbé de Soréze et Aymeric de Roquefort. Le village bas, conçu sur un plan régulier à l'intérieur d'anciennes murailles dont l'empreinte est encore sensible, aligne ses maisons mitoyennes le long de deux rues parallèles parcourues en leur centre par un caniveau .
 L'église paroissiale Saint-Etienne, initialement située beaucoup plus en amont dans la vallée, est venue rejoindre le village, probablement vers la fin du XVe siècle, après une escale dans le faubourg d'amont.

Le toponyme Saint-Estèphe s'est conservé jusqu'à nos jours sur le site primitif, par le maintien du cimetière jusqu'au XIXe siècle. Les compoix de 1559 et 1615 font état d'un lieu dit La Tour, édifice représenté sur une carte du milieu du XVlllè siècle (Arch. du Canal du Midi, plan des rigoles de la montagne et de la plaine, WAA CCC) et dont les vestiges étaient encore visibles au début du XIXe siècle.

Bien qu'elle ne soit mentionnée qu'à partir de 1255, l'ancienneté du vocable de l'église, sa situation à un carrefour de chemins et la proximité d'une tour suggèrent l'hypothèse d'un noyau d'occupation antérieure au Castlar. Ainsi, ce castrum est-il né de la volonté des seigneurs de Roquefort, qui s'assuraient ainsi le contrôle d'une partie de la population et de l'accès à la vallée du Sor, probablement pour compenser la désertion de Verdun­Berniquaut qu'ils n'avaient pu empêcher.

Cette famille, une des principales de la Montagne Noire avec les Saissac, les Dourgne et les Hautpoul, occupe, dès les environs de l'An Mil, un château dominant un village, perchés sur un promontoire rocheux au fond de la gorge du Sor. L'église paroissiale était peut-être alors Saint-James de Besaucelle, édifice ruiné d'allure préromane situé plus avant dans la montagne, si l'on en juge par la mention, en 1131, de la dîme de Besaucelle, de Roquefort et d'Auriasvalt (Orivals ?).

 Des seigneurs de Roquefort dépendaient également les deux hameaux des Bourrels et d'En Bosc, mentionnés vers 1280 et qui sont à l'origine des Cammazes, dont le consulat existe en 1384 et dont la paroisse, dite des Cammazes de Roquefort, est citée en 1318.

Les toponymes suggèrent ici un habitat dispersé lié à des défrichements (Essarts froids), regroupé partiellement et tardivement à partir de mas et sans doute d'une partie de la population du castrum de Roquefort, lui aussi déserté.

L'exiguïté et l'incommodité de ces sites perchés, l'affaiblissement de la pression seigneuriale, l'éloignement des outils et des lieux de production et la probable attirance de la ville neuve de Revel, fondée en 1342, ont sans doute eu raison de ces castra.

 

LE REVÉLOIS AU MOYEN ÂGE

 

Située dans la pointe la plus orientale de la Haute ­Garonne, aux confins du Tarn et de l'Aude, Revel est une fondation royale assez tardive. Une lettre de Philippe VI de Valois, en 1345, rappelle qu'il décida la création d'une bastide neuve dans sa forêt de Vauré " pour la disparition des dangers amenés par la présence des brigands et des assassins infestant ces lieux ".

Cette forêt, formée par le comte Raymond VII aux dépens des seigneurs de Roquefort, devenue royale à la mort d'Alphonse de Poitiers, devait s'étendre depuis un chemin dit de la forêt, entre Vauré et Dreuilhe, jusqu'à Soréze et rejoindre les forêts de l'Aiguille et de Combe Nègre situées entre le Laudot et le Sor.

 En 1342, le roi décida, pour la création de la ville neuve de Revel, de faire procéder à une coupe de bois dont le produit serait vendu et le fonds ou sol serait donné en emphytéose contre un cens annuel par arpent.

C'est Agot de Baux, sénéchal de Toulouse et de l'Albigeois, qui procéda, la même année, à la fondation de la bastide à qui il concéda une charte de coutumes, connue par un vidimus de 1462 (AC Revel). Parmi les 89 articles que compte cette charte, on retiendra l'achat au roi par la nouvelle communauté de 100 arpents du bois de Dreuilhe pour le chauffage des fours.

Si la présence de la forêt paraît bien attestée à l'emplacement de la future ville et à proximité immédiate, peut-on en évaluer l'ancienneté, l'étendue et la densité ? Etait-elle d'un seul tenant ou déjà parsemée de clairières ? Le terroir octroyé à la bastide était-il vierge de toute occupation ? Le territoire communal compte 3531 ha .

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Fig. 5. DurfortFig. ---------------------6. Dreuille (Haute-Garonne), cadastre de 1831.

Auxquels il faut rajouter les 1080 ha de la commune de Vaudreuille qui lui fut un temps rattachée. Au sein de ce territoire marqué d'excroissances, l'agglomération occupe une position excentrée. Nous avons déjà relevé un semis de témoins antiques autour de la future bastide. Des tégulae et de la céramique gallo-romaine ont été mises au jour en 1989 dans la ville même où furent également découvertes, au XIXè, des tombes ayant livré une dizaine d'objets dont des plaques ­boucles et des agrafes de baudrier datées des Vlè-Vllè siècles.

S'il est délicat, dans l'état actuel des connaissances, de parler de continuité, on doit souligner la densité des églises dans ce secteur dont les vocables semblent trahir l'ancienneté, même si elles n'apparaissent pas dans les textes avant le Xlè siècle. C'est la cas de Saint-Pierre de Calvayrac et de son cimetière occupant une butte à 2 km à l'ouest de Revel, et des églises, parfois disparues ou ruinées, des terroirs de Vauré (Saint-Sernin), Couffinal (Saint-André), Dreuilhe (Saint-Sernin), Vaudreuille (Saint­Martin).

Or, la charte de fondation précise " que les causes criminelles à Revel et aux lieux de Baure (Vauré), Druille (Dreuilhe) et Vaudruille (Vaudreuilhe), et que les dits lieux soient unis au lieu de Revel (et qu'ils) ne fassent qu'un corps de communauté et qu'un consulat avec le lieu de Revel "(Doumerc 1976, p.176).

Le nouveau terroir est donc formé par la fusion d'anciennes communautés et paroisses, union qui explique les excroissances du territoire communal actuel.

 

Ainsi, ces anciens terroirs sont d'abord marqués par une densité d'églises, dont certaines paroissiales et qui ont dû susciter assez tôt un regroupement de l'habitat.

C'est le cas de l'église paroissiale de Dreuilhe, située à un carrefour de chemins, citée à partir de 1060.

Le village primitif dut occuper l'enclos ecclésial, de forme quadrangulaire, correspondant à l'ancien cimetière (fig. 6).En 1973, une fouille menée à l'ouest de l'église a mis au jour une batterie de 15 silos, dont le comblement de type dépotoir a été daté de la première moitié du XIVe siècle.



La présence de ces structures de stockage suggère un habitat attiré par la protection du droit d'asile en vigueur autour des églises. Sur le cadastre de 1831, une partie du fossé est encore en eau. Il doit correspondre aux fortifications signalées en 1410 à l'occasion d'un des multiples conflits opposant les habitants de Dreuilhe à ceux de Revel.

 

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Fig. 8. Vauré (Haute-Garonne), cadastre de 1831.

 

L'église de Vaudreuille n'est citée qu'en 1318, mais son vocable, Saint-Martin, suggère une implantation ancienne. Elle est une annexe de Saint-Saturnin de Dreuille en 1379. Le cimetière n'occupe, sur le cadastre de 1831, qu'une partie d'une structure ovale de 75 x 45 m environ (fig. 7). Une parcelle, située à l'ouest de l'église et du cimetière, a livré des tessons de tegulae, d'amphores et de poteries médiévales.

Tout porte donc à croire qu'il s'agit ici aussi d'un enclos ecclésial auquel était lié l'habitat primitif. Ce fut probablement le cas près de l'église paroissiale Saint-Saturnin de Vauré dont le site, au nord du village, a livré, outre des tessons de tegulae, de sigillée et d'amphores, des ossements et des tessons médiévaux.

Cependant le village actuel de Vauré semble s'être constitué à partir d'une seconde église et de son cimetière, dont le vocable aurait été Sainte-Marie-entre­deux-eaux.

Les églises du terroir de Couffinal, si elles ont contribué à attirer un premier habitat, ont disparu avec lui. Saint-André et son cimetière étaient situés près du lieu dit Le Fort et de l'ancien hameau d'En Bouyé qui, selon tradition, serait le site primitif du village Saint-Martin de Pougets coïncide sans doute avec un enclos révélé par la photographie aérienne, associé à des fosses et à un four de potier elle avait pour annexe Saint-Pierre de Jouviel, non localisée enfin, l'église Saint-Hilaire n'est connue que par sa situation, au XVllè siècle, près du chemin de Castres aux Pugets.

côté d'une première nucléarisation de l'habitat autour des églises, il faut accorder une place particulière à une entreprise seigneuriale, celle des Saissac qui se virent accordée en 1174 par Roger Trencavel l'autorisation de fonder un castrum, dit de MontRevel, auquel la bastide doit probablement son nom.



Il devait occuper une colline sur la rive sud du futur bassin de Saint-Férréol, encore appelée Encastre, et où quelques fondations de murs furent découvertes au début du XXe siècle.

Un Pierre de Mont-Revel, docteur es-lois et juge-mage à Toulouse, figure d'ailleurs parmi les seigneurs témoins signataires de la charte de fondation de la bastide.

Ces terroirs paraissent assez tôt organisés en communautés dotées d'un consulat, il est attesté à Vauré en 1249 (4 consuls) et à Dreuilhe en 1271 (2 consuls). Vauré mérite d'ailleurs une attention particulière.

Mentionné dès 1033, il est dit castrum en 1231 (ADT, 2J1, f.16). Son consulat, passé à la mort d'Alphonse de Poitiers dans le domaine royal, se voit concéder, en 1322, d'importants privilèges tels que la juridiction criminelle, les prisons, fourches et pilori, les assises du juge de Lauragais, l'octroi de deux foires par an et d'un marché hebdomadaire (Ramière de Fortanier 1939, p. 565-568).

Ces privilèges semblent témoigner de la vitalité de la communauté et pourraient correspondre à une sorte d'essai, dans un cadre encore modeste, avant la fondation de la bastide.

Si le roi n'a pas poursuivi son entreprise à Vauré même, c'est peut-être parce que l'abbé de Soréze y détenait des droits (en 1272, ADT, 2J1, f.19) et que les profits auraient dû être partagés avec lui.

À cet égard, signalons que l'église Notre-Dame de Grâce de Revel, construite en 1350, a dépendu longtemps de l'église paroissiale Saint-Sernin de Vauré, prieuré-cure de l'abbaye de Soréze.

La ville de Revel a donc été édifiée sur une zone déboisée mais, loin de s'implanter dans un secteur vierge, son terroir est formé par la fusion administrative de communautés et de villages anciens.

Au-delà du "prétexte" des "brigands", cette entreprise permettait d'uniformiser le statut des habitants, de moderniser les cadres de la société rurale et donc d'améliorer la productivité de l'agriculture, de l'artisanat et du commerce (Berthe 1990, p.107-108).

Cette fusion n'a pas été sans difficultés et les textes se font l'écho de nombreux conflits entre les consuls de Revel et les habitants des terroirs annexés, refusant de participer aux charges de la bastide (entretien des fortifications et de l'église, garde des remparts, servitude des fours), notamment ceux de Dreuille et Vaudreuilhe.

Dans ce dernier cas, la communauté, bénéficiant sans doute du pouvoir de son seigneur, Vital de Rigaud de Vaudreuille, put retrouver son autonomie en 1518, indépendance qu'entérinera le découpage communal.

Sur ce dernier point, on fera deux observations. En premier lieu, les limites communales ne recouvrent ni celles des paroisses ni celles des communautés, du moins antérieures à la fondation de Revel.

En second lieu, la commune de Soréze, de grandes dimensions, s'étend jusqu'aux portes de Revel et enveloppe la commune de Durfort qui, comme celle des Cammazes, est peut-être issue du démembrement de son terroir primitif.

Curieusement, le château de Roquefort forme une excroissance dans le territoire de Soréze, à la limite des communes de Durfort et des Cammazes.

CONCLUSION

 

Le Sorèzois et le Revélois apparaissent donc comme un secteur anciennement occupé, conquis progressivement, peut-être par à-coups, sur la forêt et les marécages, et où l'habitat s'est partiellement regroupé selon des modalités variées.

À la concentration précoce de Verdun-Berniquaut ont succédé des bourg et villages groupés à l'ombre de l'église de Soréze auprès de l'abbaye, Dreuilhe, Vaudreuille, et sans doute Vauré et Couffinal autour des églises paroissiales.

Le pouvoir seigneurial, incarné par les Trencavel et leurs vassaux, a également participé à cette entreprise de peuplement remodelage de Berniquaut, habitat groupé au pied du château de Roquefort, fondations des castra de MontRevel et de Durfort s'inscrivent, auXIIIe siècle, dans le mouvement l'in castellamento, à la frontière avec le comté de Toulouse.

Ce siècle et les suivants montrent un dedéploiement de l'habitat, qui passe d'abord par un dédoublement (Soréze-Berniquaut, Durfort haut et bas) avant de se solder par l'abandon du perchement que ne justifie plus l'évolution des conditions politiques et

La bastide de Revel, fondation royale àproximité du castrum avorté de MontRevel, vient clore, en 1342, les entreprises de peuplement dont cette micro­région fut le théâtre.

Résultat d'une restructuration planifiée de l'habitat ancien, elle a vidé de sa substance les villages proches, notamment Vauré, et il est probable que son aire d'attraction a dépassé les limites du terroir qui lui fut octroyé.

 Il n'est pas improbable qu'elle ait contribué, même secondairement, à la désertion du castrum de Durfort, ni qu'elle ait entravé le développement du bourg monastique de Soréze, voire du castrum de Saint-Félix-de­Lauragais.

Elle vient en quelque sorte consacrer le lent mouvement de descente des populations des sites d'habitat perché vers des implantations plus proches des nouveaux terroirs cultivés, des outils de travail et des nouvelles zones d'échanges
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